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Érythroblastopénie induite par l’érythropoïétine : une réaction immunitaire rare mais sévère - 19/12/20

Doi : 10.1016/j.revmed.2020.10.151 
C. Delhomme 1, , M. Geisler 1, R. Reviron 1, A. Sauvage 1, P. Decker 1, N. Vernier 1, J. Campagne 1, J.F. Guichard 1, B. Thomas 2, F. Maurier 1, S. Revuz 1
1 Médecine interne, hôpital Belle-Isle, UNEOS, Metz 
2 Laboratoire de biologie, hôpital Belle-Isle, UNEOS, Metz, France 

Auteur correspondant.

Résumé

Introduction

L’érythropoïétine (EPO) est une hormone naturellement sécrétée par le rein qui agit dans la mœlle osseuse en stimulant la différentiation des précurseurs de la lignée érythrocytaire en érythrocytes circulants. Elle est utilisée depuis 1989 dans le traitement des anémies secondaires à l’insuffisance rénale chronique (IRC). L’érythroblastopénie, congénitale ou acquise, est définie par la rareté ou l’absence des érythroblastes (cellules précurseurs des hématies). Elle est caractérisée par une anémie normocytaire normochrome, moins de 5 % de précurseurs érythroïdes médullaires, l’absence de réticulocytes sanguins et une normalité des autres lignées. Nous rapportons l’observation d’une érythroblastopénie immuno-induite à l’EPO.

Observation

Un patient de 70 ans, aux antécédents cardiovasculaires et d’éthylisme chronique, consultait en raison du développement d’une IRC stade IV, sur néphroangiosclérose présumée. S’y associaient une anémie normocytaire arégénérative (hémoglobine à 8,3g/dL, volume globulaire moyen à 98 fL), une thrombopénie à 76 G/L, une hyperéosinophilie à 0,8 G/L. Il présentait des œdèmes des membres inférieurs, un prurit aquagénique, une hépatosplénomégalie, des angiomes stellaires. Le myélogramme, la biopsie ostéomédullaire et la biopsie cutanée étaient sans particularité. La gastroscopie montrait des varices oesophagiennes et une gastropathie d’hypertension portale. Il était alors conclu à une bicytopénie dans le cadre à la fois d’une IRC et d’une hypertension portale compliquant une cirrhose alcoolique. L’hyperéosinophilie était considérée comme iatrogène et s’amendait à l’arrêt de l’allopurinol. Un traitement par époétine alpha était initié. Cinq mois plus tard apparaissait une anémie (hémoglobine 4,7g/dL), normocytaire, totalement arégénérative. Quatorze concentrés globulaires rouges étaient transfusés en deux mois. Le myélogramme mettait en évidence une érythroblastopénie majeure sans dysplasie. Les examens complémentaires ne montraient pas d’argument pour un processus néoplasique. Les autres étiologies d’érythroblastopénie (Epstein–Barr Virus, Parvovirus B19, polyarthrite rhumatoïde, maladie auto-immune, syndrome lymphoprolifératif) étaient éliminées et les anticorps anti-EPO revenaient positifs à 29 UI/L (N<0,1) confirmant le diagnostic d’une éythroblastopénie immuno-induite à l’EPO. Le patient était régulièrement transfusé et l’époétine alpha était définitivement arrêtée. Au moment du diagnostic, en raison d’un risque présumé de COVID-19 grave compte tenu des données connues pour les autres infections respiratoires chez les patients porteurs d’une immunosuppression acquise, aucun traitement immunosuppresseur n’était instauré. En l’absence de rémission hématologique spontanée à trois mois, une corticothérapie systémique à la posologie de 0,5mg/kg/jour était introduite. À un mois, aucune réponse biologique n’était constatée et une perfusion d’immunoglobulines polyvalentes (1g/kg/jour) était réalisée. Une régénération médullaire était observée 24heures après l’injection, témoignant d’une rémission durable depuis 6 semaines. La corticothérapie est en cours de décroissance. Un dosage de contrôle des anticorps anti-EPO sera proposé.

Discussion

L’incidence de l’érythroblastopénie induite par l’EPO est de 35,8 pour 100 000 patients-année pour l’EPO-alpha contre 14,0 pour l’EPO-bêta. La voie sous-cutanée est jusqu’à 33 fois plus immunogène que la voie intraveineuse. Par voie sous-cutanée, la libération progressive d’une protéine (haptène) active le système immunitaire et augmente la capacité à produire des anticorps dirigés à la fois contre l’EPO administrée et endogène. Des intervalles de 1 à 92 mois entre le début du traitement et l’apparition d’érythroblastopénie ont été rapportés. La prise en charge thérapeutique, non codifiée, résulte en l’arrêt de l’haptène immunogène et l’introduction d’une corticothérapie. Le traitement de seconde ligne repose sur les immunoglobulines polyvalentes par voie intraveineuse ou la ciclosporine. Le contexte sanitaire nous a conduits à reporter l’introduction d’un traitement ciblé. La cinétique d’obtention de la rémission, obtenue à 4 mois de l’arrêt de l’époétine alpha, 4 semaines de l’introduction de la corticothérapie et seulement 24h des immunoglobulines, incite à la patience avant de proposer une seconde ligne de traitement immunosuppresseur et à une évaluation rigoureuse de la balance bénéfice–risque d’un tel traitement.

Conclusion

L’érythroblastopénie immuno-induite à l’EPO est un effet indésirable rare mais sévère. Il faut savoir y penser devant une diminution paradoxale de la concentration en hémoglobine et une majoration des besoins transfusionnels. Son traitement reste empirique.

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Vol 41 - N° S

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